Le mouvement qui soutient les travailleu.r.se.s des restos 🍽
Une conversation avec Kaitlin Doucette, activiste dans le secteur de la restauration
Depuis le début de la pandémie, les restos ont été fermés, puis ré-ouverts, puis re-fermés, le tout avec des règles souvent compliquées qui évoluent sans cesse. Plusieurs d’entre eux ont trouvé des moyens de s’adapter, en faisant par exemple des plats pour emporter et de la livraison. D’autres établissements ne survivront pas. Parmi tous ces changements, les travailleu.r.se.s de la restauration et de l’hospitalité, qui emploie 1,2 million de personnes au Canada, et dont les conditions de travail n’étaient déjà vraiment pas faciles, ont été durement affecté.e.s.
Kaitlin Doucette était directrice du programme de vin pour le Groupe Olive et Gourmando, qui inclût le resto du même nom mais aussi Foxy et Un Po’ Di Piu, quand la pandémie a frappé. Cette femme queer qui oeuvre dans le milieu des restos depuis 18 ans est l’une des initiatrices du Fonds de secours aux travailleu.r.se.s de restauration de Montréal et de la Coalition Canadienne des Travailleu.r.se.s de la Restauration.
J’ai voulu lui jaser, et je vous avertis, j’ai eu un gros coup de coeur pour l’énergie et l’activisme de cette femme!
Note : la conversation a été éditée et raccourcie pour faciliter la lecture 🙃
Caroline : Raconte-moi un peu comment ça s’est passé dans ton milieu avec la COVID-19. Comment est-ce que la pandémie a mis en lumière toutes les iniquités dans le secteur de la restauration?
Kaitlin : On qualifie souvent l’industrie des restos de rough. C’est très bizarre pour moi que d’y vivre du harcèlement sexuel, physique, psychologique et d’y être sous-payés, c’est commun.
Au début de la COVID, il y a eu beaucoup de soutien pour les restos; les gens ont réalisé que si les restos restaient fermés longtemps, ça causeraient des problèmes au niveau des finances. Mais le dialogue qui était un peu moins présent dans l’espace public était au niveau des travailleu.r.se.s. Bien souvent, c’est eux qui font face à d’autres barrières systémiques, des inégalités de classe, qui n’ont pas de filet financier et qui vivent de chèque de paie en chèque de paie.
J’ai tout de suite pensé à eux.
Je me sens privilégiée ; même si j’ai eu une enfance difficile, avec de l’incertitude financière, je suis une femme queer, blanche, able-bodied et straight-passing. En travaillant sur le plancher, j’ai survécu à plusieurs formes de harcèlement… Alors si c’est un problème pour moi, qui a un certain privilège, je peux imaginer ce que ça doit être quoi pour ceux et celles qui ont plus d’intersections dans leurs identités.
CB : Est-ce que, de l’autre côté, la pandémie a fait naître une empathie et une solidarité dans le secteur et chez vos clients?
KD : Je crois encore aux restaurants. Si je n’y croyais pas, je ne ferais jamais ce travail. Je suis née dans les restos : ma mère a un petit resto à Wakefield.
Ce qui est drôle, c’est qu’une soirée au resto, c’est simultanément la chose la plus capitaliste et la plus anti-capitaliste à la fois. D’un côté, il y a le travail, les iniquités, la structure et la hiérarchie derrière chaque repas. Et de l’autre, les actions sur lesquelles les restos sont basés reposent sur la générosité, l’hospitalité, le care. J’ai eu mes moments les plus touchants de ma vie dans des restos.
CB : Parle-moi de MRWF. Comment est-ce que l’initiative est née?
KD : Tout de suite quand la pandémie a commencé, j’ai fait ma première quarantaine en Outaouais, en campagne, et j’y ai lu un article dans le NYTimes sur un fonds d’aide mutuelle aux États-Unis. J’ai lancé ça sur mon Instagram, genre, « j’ai lu ça, je pense qu’on a besoin de ça à Montréal - who’s in? »
Je pensais qu’on allait lever 10 000 $. Mais finalement, on a dépassé le 10 000 en une semaine, et 10 mois plus tard, on est encore ici (ndlr : le MRWRF a maintenant récolté 178 325 $, qu’il a distribué à 965 travailleurs et travailleuses) !!!
En mars, j’aurais jamais cru que ça aurait toughé si longtemps.
On n’est pas une charité. On se base sur l’idée de l’aide mutuelle et du welfare - des valeurs qui sont personnelles et organisationnelles. Les gens donnent en reconnaissant qu’ils ont les moyens d’aider, un peu dans l’idée de réparations… Ce n’est pas une solution totale, mais ça en fait partie dans notre monde capitaliste où l’argent est tellement concentré.
Je suis complètement bouleversée du succès de l’initiative, et que des gens comme toi veulent en parler… On est toute une gang, j’ai fait le lien avec tellement de gens, qui veulent faire quelque chose ensemble. C’est vraiment magique, même si c’est vraiment dûr, la pandémie.
CB : Vraiment… La pandémie a fait ressortir beaucoup de laid, mais aussi beaucoup de beau. Donc comment ça fonctionne, le fonds, en gros?
KD : Les gens font des dons qui sont petits, qui vont directement à un fonds d’urgence pour aider les gens qui ne sont pas capables de payer leur épicerie ou leurs médicaments, par exemple. C’est une solution à court terme qui reconnaît que le milieu est imparfait, dans une optique de harm reduction.
On fait ça en tandem avec des petites initiatives… En mai, quand ils ont réouvert les restos pour la première fois, on a donné un webinaire avec un avocat du droit du travail pour aider les gens à comprendre leurs droits, étant donné qu’on s’attendait à ce que les conditions et les salaires changent.
On a aussi lancé un fonds pour les survivantes, alors que la vague de dénonciations frappait notre milieu.
En 2021, on veut lancer une clinique judiciaire pour les travailleu.r.se.s… C’est ça aussi dans notre milieu, il y a beaucoup de gaps d’éducation où on doit familiariser les gens avec de leurs droits. Donc on veut offrir de l’aide légale gratuite, et peut-être même des services d’avocats.
CB : Et de façon plus large, comment décrirais-tu l’aide d’urgence accordée par les différents paliers de gouvernement? Est-ce assez? Réfléchissez-vous à comment faire changer les conditions dans lesquelles les restos et les travailleu.r.se.s évoluent?
KD : En juillet, j’ai co-fondé la Coalition Canadienne des Travailleu.r.se.s de la Restauration. Tout a commencé par un appel « à froid » à Sarah Bailey, de l’organisation The Full Plate à Toronto, qui fournit des services en santé mentale et physique, en bien-être et légale gratuits pour les travailleu.r.se.s. Au Canada, surtout Toronto et Montréal, la scène de l’activisme de la restauration est très radicale et dynamique. Il y a plein d’organisations vraiment cool, on se connaît tous un peu.
À ce moment-là, on se faisait approcher par les syndicats, mais notre secteur est différent et indépendant, on s’est dit qu’on voulait faire du plaidoyer et du lobbying qui serait pour et par nous, notre communauté.
On a commencé avec une pétition (ndlr : la pétition a maintenant plus de 15 000 signatures!). L’idée est de demander au gouvernement des choses qui sont assez de base pour les autres industries, qui sont actionnables et immédiates. On demande des changements à l’assurance emploi, des paies et des heures de travail justes et des congés de maladie. Pretty basic!
Au début, on avait genre 10 demandes. Et finalement, on a opté pour 3-4 choses que les gens peuvent comprendre pour commencer. Tout ce qu’on demande, c’est des conditions de travail justes et décentes.
CB : Comment est-ce que votre organisation et le mouvement plus large dans lequel il s’inscrit sont-ils en solidarité avec d’autres mouvements des droits des travailleurs et travailleurs dans le système alimentaire?
KD : Des fois quand je mets mon chapeau d’activiste, je trouve qu’on travaille en silos. On est concentrés sur nos enjeux. Et ça c’est même à l’intérieur de notre domaine! Par exemple, quand la loi 72 a été annoncée (NDLR : cette loi permet la vente d’alcool à emporter sans devoir obligatoirement être accompagné de nourriture), les restaurants ont tout de suite lâché le morceau même si la loi ne s’applique pas aux permis de bars.
Donc le point c’est pas que tous les travailleur.se.s vivent la même réalité, au contraire. Mais de voir comment on peut s’aider entre nous, et globalement, comment on peut re-questionner les droits des travailleu.r.se.s à toutes les étapes de préparation de la nourriture. Et de situer ça tout au long d’une chaîne de production vraiment problématique.
Ça prend un travailleu.r.se.s migrant racisé dans des conditions terribles pour amener la tomate à la cuisine, qui est préparée par un cuisinier qui est sous-payé et a des problèmes de santé mentale liés au travail. Mais quand la tomate arrive à la table, le client te demande si elle est bio…
Je suis sommelière dans le secteur du vin nature : les gens me demandent tout le temps si un vin est biodynamique, s’il contient de la sulfite, mais rarement les conditions des vigneron.ne.s… Cet été, il y a eu l’histoire Valentina Passalacqua, dont le vin était hyper cool et trendy cet été. Son père, dont elle a hérité le vignoble, s’est retrouvé en prison pour avoir eu recours à du travail d’esclaves. C’était la première fois qu’on me posait la question du travail depuis que je travaille dans le milieu du vin!
CB : Ça me fait un peu penser au mouvement environnemental, qui historiquement a tendance présenter la nature et les humains comme étant deux entités distinctes plutôt qu’un écosystème interconnecté. La conservation d’espaces naturels, par exemple, s’est souvent faite en niant les droits des Autochtones et en oubliant qu’on devrait plutôt les écouter sur la façon de vivre en connexion et en harmonie avec la nature…
KD : Exact! On parle de terroir dans le milieu du vin et on ne mentionne jamais les Peuples Autochtones! It blows my mind…
CB : Penses-tu qu’à plus long terme, genre post-pandémie, des changements durables vont avoir lieu?
KD : Il manquait un discours sur les travailleu.r.se.s dans les restaurants… Oui il y a eu des choses faites par les gouvernements, mais c’était surtout axé sur les patrons et les proprios.
Je veux juste voir un futur meilleur pour les restos. Quelque chose de plus équitable et de plus durable dans tous les sens. Bâtir notre capacité pour la solidarité dans des moments comme celui-ci, c’est super important.
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Comment soutenir les travailleu.r.se.s des restos? Voici les suggestions de Kaitlin :
Suivez les deux groupes sur Instagram : @mtlrwf et @cdnrestaurantworkerscoalition
C’est tout pour cette semaine! Je vous souhaite des vacances sécuritaires et reposantes. N’oubliez pas de vous hydrater et de dire à vos proches que vous les aimez! 😘