L’effort pour sauver la plus vieille démocratie du monde
Au cours des dernières semaines, j’ai remarqué un mouvement social aux États-Unis qui a piqué ma curiosité, non seulement parce que c’est fascinant d’un point de vue de théorie des mouvements sociaux, mais aussi par l’importance de sa tâche. Pour la première édition de sciences molles, je vous parle d’une potentielle panne du système électoral aux États-Unis, et des activistes qui travaillent à protéger la plus vieille démocratie du monde.
S.O.S. démocratie en danger
Après quatre ans à repousser les limites du possible en matière d’incompétence, de décence humaine, et de la conception-même de la vérité, Trump a réussi à sortir un dernier tour de son sac et à menacer les piliers d’une des institutions les plus sacrées de la démocratie américaine : l’élection présidentielle.
Je ne parle pas des tactiques habituelles de suppression du vote, de redlining et des problèmes fondamentaux du Collège Électoral. Plusieurs analystes ont commencé à se rendre à l’évidence qu’il est fort possible que le 3 novembre, Trump refuse de céder le pouvoir, ce qui constituerait potentiellement un coup d’État. POTUS lui-même s’exclamait, en réponse à des journalistes qui lui demandaient à s’engager à un transfert pacifique du pouvoir : « There won’t be a transfer, frankly. There’ll be a continuation. »
Il faut dire que les conditions sont particulièrement (et malheureusement) réunies pour que la confusion règne le 3 novembre au soir. La pandémie rendant plus difficile l’exercice démocratique en personne, des milliers de personnes ont voté par la poste; tous ces bulletins ne pourront être comptés le soir même. Trump, en plus de semer le doute sur la sécurité du vote postal depuis des mois, définançait le U.S. Postal Service cet été dans l’objectif peu subtil de ralentir le vote. Et avec les menaces de « voter fraud » et la confirmation d’Amy Coney Barrett à la Cour Suprême, le tout a de forts relents de l’élection de 2000 et de Bush v. Gore.
Entre le 3 novembre et le 14 décembre, chacun des 50 États américains devra certifier le résultat du vote de ses grands électeurs. Ces résultats seront ensuite transmis à Washington, pendant la période de l’« Interregnum, » où le Congrès certifiera le résultat à son tour pour que le gouvernement fédéral juge de l’issue de l’élection.
Entre les élections et le 14 décembre, selon le Hold the Line Guide to Defending Democracy, trois scénarios sont possibles : Il pourrait a) ne pas avoir de vainqueur clair le soir de l’élection b) plusieurs irrégularités pourraient être remarquées, comme des délais dans le décompte et le rapport des votes, et des chiffres qui ne s’additionnent pas et c) un résultat clair, défavorable pour Trump, pourrait émerger. Dans ces trois cas, Trump pourrait se déclarer vainqueur, et semer la confusion et miner la confiance du peuple à l’égard du processus électoral à travers les médias d’extrême-droite et les médias sociaux, bâtissant sur tout le travail de désinformation de lui et de ses partisans au cours des dernières années.
Depuis l’été, deux regroupements d’académiques et d’activistes anti-coup se préparent à ce que l’une de ces éventualités deviennent réalité.
Les ingrédients pour prévenir et arrêter un coup d’État
Les organisations Hold the Lineet Choose Democracy sont des regroupements d’activistes qui ont conçu des boîtes à outil pour former les citoyens à protéger les élections. L’objectif : éduquer les citoyens sur les stratégies anti-coup gagnantes, et se préparer à les appliquer.
Selon les constats d’une analyse du Professeur Steven Zunes sur les clés du succès d’une mobilisation anti-coup, basée sur 12 études de cas, quatre éléments seraient essentiels pour empêcher un coup :
Une mobilisation généralisée, qui rassemble des larges pans de la société, et accessible au centre du spectre politique;
La construction de larges alliances allant au-delà des groupes progressistes et de gauche;
Une discipline non-violente, qui rend plus difficile les attaques de la droite et permet plus de participation populaire;
Un refus de reconnaître toute autorité illégitime; seuls les résultats d’une élection juste et démocratique devraient être acceptés.
La littérature sur la résistance civile sous-tend que le pouvoir d’un dirigeant dépend de l’obéissance et de la coopération de ses citoyens. Un mouvement de non-coopération avec le pouvoir non-violent, s’il inclût une proportion significative de la population, et de façon plus importante, une coalition de différents secteurs de la société, peut rapidement non seulement paralyser l’appareil d’État mais mener à des défections des principaux piliers du pouvoir d’un dirigeant illégitime, l’obligeant ainsi à céder le pouvoir.
Le groupe Hold the Line trace donc trois lignes dans le sable pour appuyer son action :
Tous les bulletins de vote doivent être comptés, sans interférence ni intimidation;
Toute incidence de fraude électorale, de suppression du vote et d’irrégularités doit être enquêtée;
Le résultat de l’élection doit être respecté.
La stratégie est donc simple : d’abord, protéger la démocratie et le droit de vote avant et pendant l’élection, c’est-à-dire voter et encourager les autres à le faire. Ensuite, mettre la pression sur les élus locaux, les représentants au Congrès et au Sénat ainsi que les gouverneurs de s’engager à ce que tous les votes soient comptés, et à ce que des résultats locaux ne soient pas annoncés si des votes manquent. Finalement, prendre la rue de façon non-violente si un coup est tenté. Et, de façon importante, s’assurer que le mouvement soit non-partisan, invitant des supporteurs des deux partis et focusant sur les valeurs démocratiques communes plutôt que sur les politiciens individuels.
Dans les mots de Choose Democracy : « If we need to, we will shut down this country to protect the integrity of the democratic process. » Lors de leurs webinaires, les deux organisations outillent les participants à former des groupes locaux de protection électorale, et je dois dire que je ressens beaucoup d’énergie pour ce processus d’empowering citoyen.
Car comme le dit Barton Gellman de The Atlantic : « Take agency. An election cannot be stolen unless the American people, at some level, acquiesce. »
Et nous, citoyen.ne.s canadien.ne.s, que peut-on faire? Outre ne pas s’attendre à un résultat le 3 novembre au soir, portons attention à l’information que nous partageons sur les médias sociaux sur le résultat de l’élection. Et rappelons à notre gouvernement de ne pas reconnaître un résultat avant que tous les votes soient comptés.
D’autres ressources :
Is This A Coup?, un baromètre qui évalue la légitimité du processus démocratique des États-Unis
Le Hold the Line Guide to Defending Democracy, rédigé par Hardy Merriman, Ankur Asthana, Marium Navid et Kifah Shah.
10 things you need to know to stop a coup qui reprend dix principes énoncés par Choose Democracy.