La musique pour s'unir face au racisme systémique 🔉 🎵
Une conversation avec Will Prosper, co-fondateur de Hoodstock et réalisateur du clip Tout recommencer
D’abord, bonne année à tous.te.s et bienvenue aussi aux nouveaux abonné.e.s de Sciences Molles! Je vous souhaite, en plus de la santé, du courage, de la connexion et de la communauté - trois ingrédients qui je crois seront essentiels pour faire face aux crises auxquelles nous sommes collectivement confrontés - si 2021 s’annonce comme ses premiers jours, on va en avoir besoin.
Cette semaine, je vous parle de l’oeuvre musicale et visuelle considérée par certains comme la meilleure toune de hip hop queb de 2020, et un appel incroyable à l’unité face au racisme systémique au Québec : Tout recommencer. Celle-ci rassemble une brochette d’artistes fort impressionnante : Marco Volcy, Imposs, Shreez, Tizzo, Sarahmée, Rosalvo et Meryem Saci. On s’y exprime en français, mais aussi en créole et en cri.
Si vous ne l’avez pas encore vu, prenez 5 minutes de votre temps pour le regarder - ça vaut vraiment la peine :
Le vidéo met en scène, avec une sensibilité artistique incroyable, des moments clés de l’histoire des luttes contre le racisme : le mouvement Idle No More, la crise d’Oka, l’attentat terroriste à la mosquée de Québec, le mouvement Black Lives Matter, les meurtres de Freddy Villanueva et de George Floyd, la contribution disproportionnée des personnes racisées au travail essentiel dans le secteur de la santé, les relents d’esclavage du défilé de la Saint-Jean-Baptiste de 2017, la révolution haïtienne, le projet REDress en hommage aux femmes autochtones disparues et assassinées, les manifestations de 2020 à Montréal contre le racisme systémique, le déboulonnement de la statue de John A. McDonald…
En d’autres mots, c’est l’histoire du Québec, racontée non pas par les usual suspects - qui sont plus souvent qu’autrement issus de la majorité canadienne-française blanche - mais du point de vue et de l’expérience vécue des minorités.
Pour en savoir plus sur tout le travail derrière ce projet, j’ai discuté avec Will Prosper, réalisateur du clip Tout recommencer et co-fondateur de l’organisme Hoodstock, dont la mission est de « générer des espaces de dialogues et des initiatives mobilisatrices pour éliminer les inégalités systémiques et développer des communautés solidaires, inclusives, sécuritaires et dynamiques ».
Note : la conversation a été éditée pour faciliter la lecture.
Caroline : Parle-moi un peu de l’idéation et du processus derrière Tout recommencer. Comment est-ce que le projet est né et quels étaient les objectifs de l’équipe créative?
Will : Au début, Rondo (Brown) - un producteur de musique extraordinaire - a eu l’idée, suite aux marches qu’on a organisées (ndlr : les marches contre le racisme systémique à Montréal en mai-juin ont été organisées par Hoodstock) d’aller rejoindre plus de personnes avec une chanson. Il a commencé à contacter des artistes vraiment variés, qui ne portent pas ce genre de message habituellement.
De mon côté, pour la réalisation, j’attendais toujours de voir les lyrics pour m’orienter. J’avais le son, mais sans les paroles, c’était difficile... Quand j’ai vu les lyrics de Imposs, j’ai tout de suite pensé que le vidéo devrait montrer les moments marquants de l’histoire du racisme au Québec. Ce type de vidéo n’existe pas ici! Les gens ne sont pas au courant de ces événements, et surtout dans le contexte où le Premier ministre dit que le racisme systémique n’existe pas, c’est difficile de créer un dialogue.
2020 était le trentième anniversaire de la crise d’Oka; et il y a un paquet de jeunes qui regarde le vidéo qui ne sont pas courant. Quand on n’est pas au courant, on est plus prompt à laisser les erreurs du passé se répéter.
CB : Un des thèmes principaux qu’on identifie dans le clip, c’est l’intersectionnalité des luttes pour les droits de différents groupes - Black Lives Matter, Idle No More, le combat contre l’islamophobie. On y retrouve aussi plusieurs personnalités connues de ces luttes comme figurant.e.s. Pourquoi c’était important pour toi de communiquer là-dessus?
WP : C’est nécessaire aujourd’hui - si on est pas solidaire des luttes des autres et si on prêche seulement dans nos paroisses, ça nuit à l’avancement des droits de tous. On est plus efficace quand on travaille en solidarité.
C’est aussi important de reconnaître le travail qui a été fait, car celui des personnes qu’on racise est souvent invisibilisé. Greta Thunberg, par exemple, on la met de l’avant, on l’idolâtre, et meanwhile Mélissa-Mollen Dupuis, Natasha Kanapé-Fontaine, Fabrice Vil, Webster, on ne les voit pas à la hauteur de ce qu’ils apportent à notre société québécoise.
CB : Le refrain de la pièce dit « Si c’était vrai, est-ce qu’on pourrait nous arrêter […] est-ce qu’on pourrait se rassembler. » La phrase « si c’était vrai » m’a vraiment marqué, parce que dans le fond, c’est vrai, non? Alors qu’est-ce qui nous arrête, qui nous empêche de se rassembler? Perso, j’ai interprété ça comme un appel à l’imagination pour faire du Québec une société réellement équitable, pendant que le débat public reste figé dans les idées préconçues. Je me trompe?
WP : C’est pas mal ça… Même si le bon côté de l’art, c’est de laisser place à l’interprétation!
Si on voulait vraiment, on ferait le changement, on arrêterait de trouver des excuses pour s’empêcher de le faire. C’est là que ça devient frustrant, car c’est ça, c’est pas mal vrai. Pourquoi on s’empêche de créer une société plus juste? Pourquoi on accepte de permettre à ces situations d’empirer, alors qu’on sait qu’il y a des choses à améliorer?
C’est un appel qui est valable pour n’importe quel type de lutte.
CB : Quand j’ai vu le clip sortir en décembre, je m’attendais à en entendre beaucoup plus parler dans les médias traditionnels, ça m’a déçu. Comment as-tu trouvé la réception dans l’écosystème médiatique du Québec? Es-tu satisfait du rayonnement et de la visibilité que l’oeuvre a reçu?
WP : Excellente question… La réception la plus importante, ça va de soi, c’est les gens à qui on s’adresse. Mais je m’attendais absolument à une plus grande réception des médias de masse, surtout quand je vois ce que le clip suscite chez les gens, quand ils le comparent avec This is America de Childish Gambino… On en a tellement parlé de ce vidéo quand il est sorti, pourquoi on est gênés de parler de ce qui se passe ici au Québec? Ça devrait être le contraire, c’est une oeuvre unique qu’on a jamais vue dans notre histoire, ça amène des réactions chez les gens, plusieurs considèrent que c’est une oeuvre… Je suis assez stupéfait de voir le peu de couverture que ça a reçu.
Le but de Rondo et des artistes était que ça tourne à la radio. Les chansons d’aujourd’hui sont vraiment dans le rythme : Tout recommencer est entraînante, mais elle a aussi un contenu très particulier. Peut-être que c’est ce que la chanson dénonce qui ne passe pas… Mais elle est encore assez récente.
CB : J’espère vraiment que ça va être picked up par les stations de radio. Tout recommencer démontre que l’art est un médium de communication puissant. Selon toi, quel est le pouvoir de l’art dans l’activisme?
WP : C’est quelque chose de sous-utilisé par les mouvements. Moi en tant qu’artiste, je le mets partout - la création de logos, de musique, de vidéos… Ça permet d’envoyer un message qui ne se communiquerait pas autrement.
Dans Tout recommencer, on utilise différents médiums : la musique, les paroles, le visuel… l’art joue plusieurs petits « tours », il frappe l’imaginaire beaucoup plus fort qu’un discours que des militant.e.s font, par exemple… Ça réussit à rejoindre les gens. Les gens vont l’écouter juste parce qu’ils aiment ça, mais ça ouvre quand même le dialogue. Plusieurs jeunes m’ont dit qu’ils n’étaient pas au courant d’un événement dans la vidéo… Puis ils me disent ce qu’ils ont vu, et c’est peut-être pas mon intention, mais ca va chercher quelque chose chez eux. Ça les fait frémir, ça fait lever les poils, c’est vraiment puissant.
Dans les années 70, l’art était hyper présent au sein du mouvement pour l’indépendance; plusieurs artistes en faisaient partie, des poètes… C’est aussi vraiment présent dans la culture haïtienne. Dans la culture noire et dans le Sud des États-Unis, l’art a toujours été vraiment important. Quand une chanson dit “Take me by the river”, c’est un code qu’on envoyait sur l’endroit où les esclaves pouvaient s’échapper. L’art frappe l’imaginaire et permet de te libérer.
CB : 2020 a été une grosse année pour Hoodstock, qui, en plus de son rôle dans l’organisation des marches contre le racisme systémique à Montréal, a redoublé d’efforts pour soutenir les citoyens de Montréal-Nord, un des quartiers les plus touchés au Canada, par la pandémie. Comment est-ce que, selon toi, la pandémie y a amplifié les inégalités et iniquités déjà existantes auxquelles le quartier fait face?
WP : Quand Freddy (ndlr : Freddy Villanueva) a été tué, tout le quartier savait déjà que le profilage était vraiment démesuré dans le quartier. La communauté s’est soulevée parce que tout le monde savait; personne n’était surpris.
C’est la même chose pour la pandémie : on savait qu’on avait des travailleu.r.se.s essentiel.le.s, beaucoup de proximité, que plusieurs habitants du quartier travaillaient dans des conditions défavorables… On est sortis, on a lancé des messages au gouvernement que ça allait frapper fort. C’est pour ça qu’on a été le premier organisme a distribuer des kits sanitaires. On a dit : pas le choix d’y aller, sinon il y a des gens qui vont mourir! Quand Marcellin François, un habitant du quartier préposé aux bénéficiaires, est mort, c’est notre voisin qui est mort. C’est notre monde, il faut qu’on en prenne soin. Si on prenait vraiment soin de notre monde, peut-être que Montréal-Nord ne serait pas dans ces conditions présentement…
Avec Hoodstock, pendant la pandémie, on a distribué des masques, mais aussi des ordinateurs portables, on a fait des sondages auprès des résidants. Hoodstock c’est plus qu’une organisation, c’est un mouvement. Quand tu regardes toutes les actions de Hoodstock, je connais pas un autre organisme qui est en train de mettre en place tout ce qu’on fait! On est comme le BLM québécois, avec des actions qui sont des innovations sociales, et on continue de se réinventer. Je suis très fier de ce qui a été accompli en 2020. On est un peu fatigués, mais là 2021 veut pas nous donner de break…
Un énorme merci à Will pour cette conversation vraiment vraiment riche et surtout, pour tout son travail.
Pour soutenir et amplifier le travail de Hoodstock :
Tout recommencer est disponible sur Spotify. Pour ceux et celles qui souhaitent en savoir plus sur le processus créatif, son making of est dispo ici.
Vous pouvez soutenir Hoodstock en faisant un don ici ou en devenant membre de l’organisation.
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